samedi 8 décembre 2018

Zwarte Piet, ce rite d’initation au racisme

En Belgique, impossible de passer le mois de décembre sans voir Saint-Nicolas et son acolyte, le Père Fouettard.

Selon la légende, Père Fouettard (Zwarte Piet en néerlandais) est le serviteur de Saint-Nicolas... Il a deux rôles : l’aider à distribuer les cadeaux et punir les enfants turbulents !

Histoire et origines de Zwarte Piet...

Le personnage de Zwarte Piet atteste de la présence des Noirs en Europe. ('the reign of Afropeanism)

 L’idée que les Noirs arrivent en Europe après la colonisation est fausse. Les peintures des Primitifs flamands regorgent de personnages noires vivant en Flandre ou aux Pays-Bas. Dans ces fresques, les Noirs ne sont pas tous des esclaves, certains font partie d’un ordre de Chrétiens qui ont combattu les musulmans. L’idée que les seuls Noirs d'Europe sont les Maures, est fausse.  Les primitifs flamands ne sont pas les seuls à représenter des Noires :
  • Dominico Giovanni et son serviteur... 


Ce tableau est très connu mais les analyses plus récentes affirment que le titre n’est pas logique. La symétrie entre les deux personnages montre qu’ils sont sur un même pied d’égalité et il y a un air de famille entre ces deux personnes. Il s’agit clairement d’un père et de son fils.

  • Les Noirauds

« Les Noirauds font partie du folklore bruxellois depuis près de 140 ans. A l'origine, il s'agit d'un rassemblement de bourgeois bruxellois qui décident de collecter de l'argent pour sauver une crèche menacée de faillite. Pour préserver leur anonymat, ils se griment en notables africains, se teignant le visage en noir. A travers les années, la tradition a subsisté. » Source

Dans ce cas-ci, les personnes se griment en rois africains. Comme le personnage de Zwarte Piet, le costume est soigné et onéreux. Quand on regarde l’accoutrement de Zwarte Piet, on voit bien que c'est une personne bourgeoise. Il n'a rien d'un pauvre ou d'un esclave: il ne ressemble pas à un serviteur.

Dans tous les cas, la pratique du blackface apparaît à la fin du 18e siècle, lors de la création du racisme en Europe. A ce moment-là, les Noirs sont moqués et le noir devient synonyme de serviteur.
Les rites de blackface permettent de se moquer des Noirs... Et ces rites vont de paires avec la déshumanisation des Noirs.

A l'époque, beaucoup de Noirs présents en Europe sont transformés en « serviteur », « esclave » : ils sont tués, rejetés, envoyés aux Etats-Unis pour devenir esclave dans le cadre du commerce triangulaire.

Il est important de comprendre; quel est l'intérêt de cacher la présence de ces personnes noires en Europe ? Et en quoi la pratique du blackface continue à porter préjudice aux personnes noires d’Europe ?

Le racisme a de multiples facettes et notamment : la perpétuation de traditions, l’occultation de certains faits historiques et la désinformation.

Rite d’initiation au racisme...

Pour Mireille Tsheusi Robert, la figure de Zwarte Piet est un rite d'initiation au racisme en Belgique...

Dans cet article, je vais vous partager mes notes prises lors de la conférence sur Zwarte Piet à l’ULB, fin 2016..

"La figure de Père fouettard renvoie à la vision coloniale qu'on a des afrodescendants... Saint-Nicolas existe dans 44 pays dans le monde et la majorité des pays n'a pas cette 2e figure noire."

Mireille Tsheusi est chercheuse associative. Elle a fait une étude avec l’ASBL Change afin de déterminer l’influence de Père Fouettard sur les enfants africains. 70 enfants d'origine africaine de 3 à 9 ans ont été interrogés.

"Dans les discours des enfants, 4 stéréotypes attribués aux Africains sont revenus lorsqu'on leur demandait de décrire le Père Fouettard:

1.     il est méchant

2.     il est paresseux

3.     il est servile

4.     il est divertissant (amusant, drôle, il sait danser...)

Tous les ans, on va faire cette fête : on répète les mêmes gestes avec les mêmes acteurs. Ce culte est doublement efficace car à cette âge-là, on est fort impacté par les images. Il n'y personne qui trouve ça anormal. C’est pour ça qu’il est important d’instaurer des ruptures dès maintenant et de ne pas laisser les enfants se laisser avoir dans ces rites racistes. On apprend aux enfants le mépris et la discrimination de façon très implicite. Quand on connait la situation dans laquelle les afrodescendant.e.s se trouvent en Belgique, on se rend compte que ce type d'initiation a des conséquences tangibles dans nos vies...



La contestation s’organise....En Belgique aussi !

« Queen Nikkolah est une performance qui questionne les limites de race et de genre de la tradition de Saint-Nicolas. Il s’agit d’approfondir le débat sur la perpétuation des schémas coloniaux inhérent à cette tradition et leurs effets sur l’imaginaire de l’enfant. Alors que la question est souvent portée sur la noirceur de Père Fouettard / Zwarte Piet, je la déplace pour questionner la blancheur et le genre même de Saint-Nicolas, comme éléments tout aussi déterminant dans l’apprentissage inconscient du privilège (ou désa- vantage) racial et de genre dans l’enfance. Qui est bon? Qui est violent? Qui travaille pour qui? Cette action artistique promeut une vision du patrimoine culturel, non comme un concept figé, mais comme s’adaptant aux mouvements de l’Histoire pour assurer sa longévité. La tradition de Saint-Nicolas a déjà montré des adaptations autour du personnage de Zwarte Piet; une lente déracialisation (années 50, il est noir parce que africain, années 90 parce qu’il a de la suie sur le visage), d’une image d’asservissement à une image de divertissement, etc. Queen Nikkolah propose une future adaptation d’une société avec une réelle égalité des chances. La performance présente le personnage de Queen Nikkolah, une version féminine et noire de Saint-Nicolas, dans les mêmes conditions de démonstration que les Saint-Nicolas déguisés en période de fête: Il s’agit d’un acte simple qui peut être aussi bien accueilli que rejeté mais permet une première déconstruction des schémas hérités. Il offre également l’occasion aux enfants racisés ou non de célébrer l’esssence même de la tradition: leur faire plaisir! » Descrpiton de l'evènement

Son spectacle est une belle manière de profiter de cette fête avec la résilience qui collent si bien à la peau des afrodescendants.

Sources et pour en savoir plus :


lundi 3 décembre 2018

Femmes noires et IST : comment se protéger?

J'ai appris la nouvelle un jeudi soir de novembre.
Je m'ennuyais terriblement dans la salle d'attente du centre de dépistage et j'essayais tant bien que mal de me concentrer sur ma lecture malgré le balai incessant de personnes venues se faire tester.
C'était la 6e fois que je passais par là et presque à chaque fois, je repartais avec une bonne nouvelle.
Pour la première fois de ma vie, je n'avais aucune crainte, aucune appréhension et j'étais persuadée que tous mes résultats seraient négatifs.
Une fois dans le bureau du médecin, les résultats tombent. Tous sont négatifs, sauf pour la chlamydia.
Je confirmais la statistique : 1 jeune sur 20 est porteur de la chlamydia. Au-delà de la surprise ou de la honte, cette nouvelle confirmait surtout les soupçons que j'avais sur l'infidélité de mon partenaire....
Mwasi, collectif afroféministe


Réflexions sur ma propre expérience...
A l'occasion de la journée mondiale contre le VIH/SIDA, je souhaite écrire sur ce sujet assez tabou et mettre en avant ma propre expérience. J'ai envie d'écrire, tout en sachant que ça peut avoir des répercussions sur ma vie, ma réputation et ma famille. Le problème, c'est qu'en gardant le silence, j'aurais l'impression de faire partie du problème.
Je suis une femme noire, j'ai 25 ans et j'ai la chance d'être séronégative. Je ne pense pas avoir une vie sexuelle très active ou avoir des pratiques très à risque.  Je fais très attention, je me fais dépister 2 fois par an et j'ai presque toujours eu des partenaires sur du long terme avec qui, j'ai systématiquement fait des tests avant d'arrêter les préservatifs.
J'ai commencé ma vie sexuelle il y a seulement 6 ans et j'ai eu 2 IST ces 4 dernières années. Je pense que ce n'est pas normal et je crois qu'être une"femme noire" y est pour quelque chose... J'ai l'impression d'avoir couché avec des menteurs et des gamins... Des personnes qui ont des comportements dangereux et quqi me rappellent tous ces gens qui prennent le volant en étant ivre, qui mettent en péril la vie des autres.

Pour mieux comprendre la situation des femmes noires dans le monde, voici quelques faits bon à savoir : 


  • "Les adolescentes de 10 à 19 ans sont surreprésentées dans les cas de nouvelles infections en Afrique. En 2016, les nouvelles infections chez les jeunes filles (15-24 ans) étaient 44% plus nombreuses que chez les hommes du même âge." (Rapport Avert, Key Infected Populations) Ces chiffres prouvent bien qu'elles ont des rapports sexuels avec des personnes bien plus âgées qu'elles. On peut émettre différentes hypothèses pour expliquer ça : viol, travail du sexe, précarité...
  • Les personnes noires qui sont contaminées en France, le sont, durant leurs premières années sur le continent européen.(Kitambala) "Depuis plusieurs années, des études quantitatives comme l’enquête Parcours, réalisée par l’ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les hépatites) tentent d’évaluer l’impact du vih et de l’hépatite B sur la qualité de vie des « migrant·e·s subsaharien·ne·s ». Si certain·e·s d’entre elles·eux sont originaires de pays où l’épidémie reste virulente, de nouvelles données virologiques démontrent qu’une partie des infections ont lieu en France, notamment dans les premières années qui suivent l’arrivée des africain·e·s subsaharien·ne·s sur le territoire. C’est donc durant ces périodes d’instabilité, de grande précarité, d’absence de droits, que les personnes ont des pratiques à risques et s’infectent au vih."
  • "Le couple, même marié, ne protège pas les femmes contre le VIH-Sida, beaucoup de femmes hétérosexuelles contractent le VIH-Sida alors qu'elles ont des rapports sexuels réguliers avec un seul partenaire (concubinage ou mariage). Elles découvrent leur statut sérologique plus tardivement, n'ayant pas eu le réflexe de faire des dépistages réguliers, ce qui a des conséquences lourdes sur l'évolution et la prise en charge de la maladie."(Mwasi)

Cette situation de grande vulnérabilité provient de facteurs multiples : problèmes d'accès à l'information et aux soins médicaux. Mais aussi culture du viol, misogynie, manque d'éducation à la vie sexuelle et affective.... Les histoires de viols ne sont pas non plus à négliger car malheureusement, beaucoup d'hommes n'entendent pas lorsqu'on exige d'utiliser un préservatif.


Rapport à la sexualité, pistes d'action et outils d'empowerment
Depuis la libération sexuelle en Europe, il y a un rapport désinvolte à la sexualité. Sur Internet, j'ai souvent lu/écouté des témoignages de personnes qui désacralisaient totalement la sexualité. Cependant, je pense que ce rapport à la sexualité est un privilège qui n'est valable que pour une certaine catégorie de personnes : blancs.hes et hétérosexuelles...Je ne pense pas qu'on puisse appréhender son rapport à la sexualité de la même façon lorsqu'on fait partie d'un groupe à risque et fortement exposé aux IST. C'est pour cette raison qu'il me semble indispensable de discuter de ces sujets entre afroféministes et d'apporter des réponses spécifiques à nos besoins. Le problème, c'est qu'on manque de leaders d'opinions et de femmes qui osent parler de ces sujets sans tabou.

Comment se protéger?  Rester sur vos gardes + Dépistage !

  • En tant que femme noire dans ce monde, nous n'avons que notre cerveau pour nous protéger.
A cause du contexte socio-culturel dans lequel on se trouve en Europe, je conseillerai aux jeunes femmes noires de s'informer et de prendre leur temps avant de commencer leur vie sexuelle.
Le savoir est une arme : il faut se protéger, se dépister et connaitre son statut sérologique.


  • Exiger à son partenaire de faire des tests mais ne pas faire confiance trop vite.

Si vous connaissez votre statut sérologique, vous pouvez vous protéger et protéger les autres. Mais attention à ne pas oublier toutes les autres IST, auxquelles j'ai moi-même été confrontées qui se soignent souvent très facilement mais encore faut-il les détecter à temps...


samedi 9 juin 2018

Visit Rwanda et Arsenal, l'un des fabuleux coups de com du gouvernement rwandais

L'agence de tourisme Visit Rwanda est désormais l'un des sponsors officiels de l'équipe de football d'Arsenal.


Quand j'ai vu la nouvelle s'afficher sur mon fil Twitter, j'étais choquée. Cette histoire était sur toutes les lèvres et même dans les conversations de responsables politiques au Rwanda et aux Pays-Bas. Je suis tombée sur un tweet qui résume bien les opinions des uns et des autres sur le sujet.
L'un des membres du parlement des Pays-Bas était très en colère car son pays verse une grande somme pour la coopération au développement au Rwanda. Fort heureusement, un ambassadeur rwandais, Olivier Nduhungirehe l'a très vite remis en place sur le réseau social


Il semble tout de même que les Pays Bas ne veuillent pas lâcher l'affaire et qu'ils lanceront prochainement une enquête sur le sponsoring. Affaire à suivre donc...

La saison de football n'a pas encore commencé, pourtant le buzz est encore bien présent car les médias parlent encore de cette affaire. Et pour cause, ce choix de sponsoring a surpris beaucoup de monde. Comment ce pays pauvre a réussi à négocier des contrats habituellement offerts à des pays comme le Qatar?
En réalité, quand on suit l'actualité du Rwanda, on se rend compte que c'est un procédé utilisé régulièrement par le gouvernement rwandais. Leur stratégie est limpide : ils souhaitent prouver que malgré la pauvreté du pays, le Rwanda peut tout faire mieux que les autres.


La beauté du pays est bien connue, mais au niveau géographique, la région n'a pas grand chose pour elle. Le Rwanda est un pays enclavé et ne possède aucunes ressources minières. C'est le 19e pays le plus pauvre du monde et son passé est marqué par un génocide. En bref, rien pour attirer les investisseurs potentiels ou les touristes.

Pourtant, avec un PIB en hausse de 8% par an depuis 2002 , le pays est un excellent élève du 'développement 'et préside cette année l'Union Africaine. Il faut dire que la stratégie de communication du gouvernement est extrêmement bien ficelée : en permanence, ils montrent qu'ils peuvent atteindre l'excellence et dépasser les pays occidentaux. Voici quelques exemples de ces coups de com fabuleux :



Bref, tous ces exemples concourent toujours à la même stratégie : prouver que le pays peut faire mieux que tout le monde, malgré une mauvaise situation socio économique. Et ça marche!
Aujourd'hui, le pays mise sur un tourisme de niche avec des visiteurs très fortunés qui sont prêts à payer des sommes folles pour découvrir le Rwanda et surtout les Gorilles dans des conditions VIP.
A l'opposée de l'Asie, attirer une clientèle de luxe, loin du tourisme de masse, permet de préserver le pays de la pollution et certains hôtels misent sur des bâtiments autonomes et écolo-friendly.


Certains affirment que toute cette communication permet de détourner l'opinion publique de la dictature et du non-respect des droits de l'homme. Mais il n'empêche qu'il faut apprécier tous ces efforts, en espérant que toutes ces avancées puissent profiter aux populations les plus pauvres du Rwanda.

mercredi 11 avril 2018

Génocide au Rwanda et déshumanisation des corps noirs


TW : Violences, genocide

Le mois d'avril est toujours particulier pour les Rwandais.
Chaque année, ce mois est synonyme de deuil et de commémorations.
Près de 800.000 Rwandais sont morts entre avril et juin 1994.  
Aujourd'hui, j'ai envie de parler de ce sujet sous l’angle des médias car je pense qu’étudier le traitement médiatique du génocide rwandais permet de mieux comprendre la déshumanisation des corps noirs à l’échelle globale dans les médias.

Les premières images
Je ne me souviens pas à quel âge j'ai entendu parler du génocide pour la première fois. J'avais un peu plus d'un an lorsque le génocide a commencé en avril 1994. J'étais donc, beaucoup trop jeune pour comprendre ce qu’il se passait et j'avais également la chance de ne pas vivre au Rwanda durant cette période.
Ce dont je me souviens par contre, ce sont les premiers reportages que j'ai vu sur le sujet.
J'entendais pour la première fois, à la télévision belge ou française des gens qui parlaient ma langue et qui me ressemblaient. Et malheureusement, j’ai entendu et vu les pires atrocités.
Je me souviens encore du regard de ces hommes et de ces femmes s'agenouillant devant des journalistes et les suppliants pour être sauvés de l'horreur. J’avais 8 ou 9 ans et j’étais sous le choc.
Les premières images de mon pays furent des images d'humiliation et de tristesse.

Des images pour sensibiliser? 
Aujourd'hui encore, le gouvernement rwandais utilise les corps pour sensibiliser
Il est devenu assez banal de tomber sur des photos d'os, de crânes appartenant aux victimes du génocide. Et même si le but est de dénoncer la tragédie, je trouve tout de même que l'utilisation de ce type d'images extrêmement problématique.
Les journalistes de l'époque ont souhaité alerté l’opinion sur ce conflit. Et même si avec le recul, j’estime qu’ils ont participé à une déshumanisation des corps noirs, ce que je ne comprends pas, c’est l’intérêt de rediffuser ces images aujourd’hui. Car les corps sont déshumanisés lorsque des images et des scénarios brutaux sont montrés au grand public alors que ça n’a aucun intérêt.
Derrière ces os, derrière ces corps, ce sont des individus avec leur histoire, leur passé qui sont exposés. Aucun-e d'entre eux n'a choisi de se retrouver là et aucun-e d'entre eux/elles n'a reçu une sépulture descente.
Je pense qu'après quasiment 24 ans, il est temps de leur accorder une certaine pudeur.

La mort de Alan Kurdi

La mort de Alan Kurdi en 2015 a suscité énormément d’émoi. Alan est le petit garçon syrien, retrouvé mort sur les plages de Turquie. Voir son corps sans vie a dévasté énormément de gens.
Pourtant, l’émoi provoqué par sa photo m’a questionnée.

Pourquoi sa photo a provoqué plus d’empathie que les innombrables morts en Méditerranée ?
La seule photo d’un enfant « blanc »[1] échoué sur le sable vaut-elle plus que les milliers de morts annuels ?
Je pense que la force de cette photo se trouve dans le fait que ce genre d’images soient rares. On 
D’ailleurs, l’ONG ‘Save the Children’ a utilisé une jeune fille britanique pour jouer une jeune syrienne. Grâce à ce procédé, la vidéo a fait le buzz. https://www.youtube.com/watch?v=RBQ-IoHfimQ

Les médias ont toujours été utilisés comme miroir de la société. Ce qu'on voit dans les médias, on a tendance à le reproduire et à le trouver normal. Avec les images des corps noirs, on est entré dans un cercle vicieux car nos écrans vont désensibiliser la société.
A force de voir de nombreux corps noirs, s'échouer et mourir dans la méditerranée, on va estimer que c'est normal.
Les images peuvent provoquer de l'empathie, mais montrer continuellement certains corps dans des scénarios horribles peut aussi renforcer l'idée que les corps noirs ne méritent pas le même respect que les autres corps.

Ce qu’on peut faire

En tant que militant-e en ligne, nous sommes parfois les premiers à partager du contenu choquant qui mettent les personnes noires dans des positions dégradantes, dans l'espoir de sensibiliser. Mais très souvent, on fait plus de mal que de bien en nourrissant des clichés. 
Ce qu'on peut faire aussi, c'est dénoncer les médias et/ou les ONG qui utilisent ces mêmes procédés.

N'oublions pas que nous sommes les seuls garants de notre dignité. 
Source : 
TECHNOLOGY AND THE DEHUMANIZATION OF THE BLACK BODY




*Dans cet article, je ne souhaite pas utiliser les termes de 'hutus' ou 'tutsis. 

Ce n'est pas parce que je souhaite être colorblind mais c'est surtout pour éviter de provoquer des angoisses aux personnes concernées et ça rejoint la position que j'ai énoncée dans cet article. 

**J'ai utilisé très peu de sources dans cet article mais j'aimerais en savoir plus sur ce sujet. N'hésitez pas à m'envoyer des ressources sur ce sujet. 




[1] Je sais qu’il n’est pas blanc occidental, mais il est blanc de peau. Et beaucoup d’individus se sont enfin dit, ‘il pourrait être mon fils. Il ressemble à mon fils.



jeudi 8 mars 2018

Journée des droits des femmes et nouvelle offensive contre Damso

Hier matin, je vérifias tranquillement mes mails dans le bus, lorsque je suis tombée sur le mail d’un professeur nous invitant à signer une lettre pour empêcher Damso de créer l’hymne du prochain mondial pour l’équipe belge. Plusieurs institutions s'en prennent à lui car ses paroles de chansons seraient sexistes.
Il y a plusieurs semaines, la polémique avait déjà fait rage dans les médias belges et le Conseil national des femmes a choisi la semaine des droits des femmes pour faire pression sur la ligue et revenir de plus belle dans l’actualité.

Personnellement, je suis afroféministe et je ne signerai pas cette lettre. Voici pourquoi :
 Les codes du rap et la catharsis
Comme beaucoup d'autres musiques, le rap reflète le monde dans lequel nous vivons. Mais à la différence des autres styles de musiques, le rap est dur, cru et beaucoup plus direct.
Questionner la brutalité du rap, c’est ne pas comprendre les racines du rap. Le rap est né dans des milieux pauvres et populaires aux Etats-Unis. Là où la drogue et la violence étaient monnaie courante. Le rap est souvent agressif parce que la vie des rappeurs est difficile. En Europe aussi, le nid du rap se trouve dans les quartiers populaires.
 Certes, les textes de Damso sont sexistes, c’est vrai. Mais le sexisme dans la musique est partout. Analysez bien les textes de Gainsbourg ou même de Jacques Brel et vous y verrez des propos problématiques.
 
Les hommes racisés : la cible facile
 Alors, pourquoi cet acharnement sur les musiques populaires, urbaines et crées par des racisé.e.s? Si ce n'est pour enfoncer le clou et renforcer le racisme ambiant? J’en ai vraiment assez de ces politiques de respectabilité et je pense que le féminisme ne devrait jamais servir d’excuse au racisme.

 Le sexisme le plus douloureux
La médiatisation de cette affaire, en cette journée des droits des femmes est comparable au tapage médiatique autour du harcèlement de rue.
Ca fait des années, qu’on voit fleurir sur Internet des témoignages de femmes qui ont été agressées verbalement dans la rue. Mais quand on parle de drague de rue, on sait que ce sont les hommes racisés qui sont visés. C’est pour cette raison que les médias adorent pointer du doigt ce sexisme.
C’est seulement il y a quelques mois, avec le mouvement #metoo que les femmes ont commencé à dénoncer des agressions provenant d’un tout autre type de profil. Des hommes riches et souvent blancs, à l’instar de Weinstein. Et selon moi, c’est ce sexisme qui est le plus douloureux car en général, ce sont ces hommes-là qui ont du pouvoir sur nous.

Les hommes pauvres qui nous embêtent dans la rue n’auront jamais aucun impact sur notre condition sociale , notre évolution professionnelle et/ou notre salaire.

Et on peut faire le parallèle avec l'utilisation de ce fait divers qui permet de masquer les vrais enjeux du féminisme.
Le sexisme dans le monde du rap est un sujet qu’il faut aborder. Mais pas de cette manière. C’est aux femmes racisées et aux rappeuses de l’industrie de se faire entendre sur ces questions pour éviter que le sujet soit détourné par des agendas politiques malveillants.
 Il est essentiel, en tant que féministes, qu’on se batte contre le sexisme institutionnel incarné par les hommes de pouvoir.
 Sources :
 
Je vous invite à lire ce texte de Joao qui explique bien ce qu’est le fémonationalisme et pourquoi il faut le combattre en tant que féministes intersectionnelles 



mercredi 7 mars 2018

Petite critique du livre "Créer en postcolonie"




Ce livre est une anthologie de textes, de poèmes et d'interviews. Il donne une vue d'ensemble du secteur associatif et culturel de la diaspora congolaise en Belgique. Le livre se concentre sur l'art et l'apport des afrodescendant-e-s dans le milieu socio-culturel (surtout) à Bruxelles.


En Belgique, les populations d'Afrique subsahariennes font partie des diasporas les plus éduquées du pays mais elles cumulent en même temps, les plus hauts taux de chômage. Ce paradoxe rend les Africain-e-s de Belgique, en particulier les diasporas congolaises, très intéressantes à étudier.










Présentation des auteurs 
Sarah Demart est sociologue, chercheuse au Centre de l'ethnicité et des migrations.
Gia Abrassart est journaliste indépendante et responsable de Café Congo.








Le patrimoine colonial belge
Les premiers chapitres parlent surtout du patrimoine colonial belge et de la difficulté qu'ont les Congolais à se faire entendre sur ces questions. Par exemple, sur Zwarte Piet, Tintin au Congo et puis bien sûr sur la fameuse statut de Léopold II qui suscite toujours tumultes et révoltes.

Un grand chapitre est consacré au Musée de Tervuren qui est le dernier musée colonial du monde. Ce musée est souvent décrié par la diaspora et le monde associatif. Il est en travaux depuis 2013 et il tente de devenir un musée postcolonial.





Une dichotomie au niveau du partage du pouvoir
Ce livre ne fait pas l'unanimité. Il y a deux ans, une soirée était organisée à l'occasion de la sortie du livre. Et l'ambiance était assez surréaliste.
Ce qui dérangeait à l'époque, c'était que les organismes de subventions du livre étaient complètement blanches.
On ne peut pas dire que 'for us by us' soit la devise de 'créer en postcolonie'.


Moi, ce qui m'a vraiment dérangé, c'était le nombre très limité de penseurs, de politiques et de scientifiques dans ce livre.
Je comprends que le livre souhaitait mettre en avant les créateurs mais la création ne se limite pas à l'art. J'ai souvent eu l'impression que les personne qui pensent la soit disant 'post-colonie' étaient surtout incarnés par des Blancs Tandis que les artistes qui 'performent' cette postcolonie étaient africain-e-s.
J'ai donc trouvé, qu'on retombait par moments dans des vieux clichés, des Africain-e-s, doué-e-s en art mais qui n'avaient pas un esprit d'analyse rationnel.




Pour conclure, je pense que créer en post-colonie est un livre qu'on attendait depuis longtemps. Autant dans le milieu académique, qu'associatif et culturel. C'est un bel objet livre avec beaucoup d'illustrations, qui se lit facilement et se feuillette avec plaisir. On apprend beaucoup d'anecdotes sur la ville et sur ses habitants africains.
Ce livre conviendra aux curieux-ses qui veulent mieux comprendre les rapports délicats que la Belgique entretient avec ses anciens sujets coloniaux.
Il peut faire office de cadeau à une personne qui s'intéresse à ces sujets.






vendredi 2 mars 2018

Le militantisme en ligne comme espace de liberté dans une culture qui pousse au silence


Enfance et extraversion..
Je suis une personne de nature extravertie.
Depuis petite, j'aime être entourée de gens et mes proches me donnent toujours le sourire. Je suis née et j'ai grandi en Afrique, dans une famille où le collectif est extrêmement important. J’ai appris que dans notre culture, il n’était pas possible d'être heureux si ce bonheur n'était pas partagé.
Et pourtant, j’ai également appris à garder le silence...
Plus jeune, je me rappelle avoir souvent ressenti de la frustration lors de conversations avec des personnes adultes. C’était à peine si j'étais invitée à table et on me faisait clairement comprendre que je n'avais jamais mon mot à dire.
Petit à petit, j'ai internalisé tout ça et j’ai pris l’habitude de ne pas attirer l’attention des personnes plus âgées.
En grandissant, je me suis rendue compte que me taire a été utile dans beaucoup de situations. Par exemple, en secondaire, j’ai évité beaucoup de conflits avec des professeurs qui pouvaient avoir des propos problématiques racistes ou humiliants.


Me taire au travail..
Mais ce silence est également extrêmement difficile à vivre à l'âge adulte.
Quand je suis dans une réunion, j'ai du mal à exprimer mon opinion car je ne me sens pas légitime. Et me taire ne veut pas dire que je n'en pense rien. Peut-être que mon opinion peut être intéressante et utile. Je le sais et pourtant, c'est tellement plus facile à dire qu'à faire.
Oser parler est très dur pour moi et c'est extrêmement handicapant dans le monde du travail. Dans un monde où les 'grandes gueules' ont souvent le dernier mot, il est important de se montrer proactif, de se mettre en avant, de montrer son potentiel pour prouver qu'on est meilleur que les autres. Difficile dans ce type d'environnement, de garder le silence.
Je me rappelle avoir eu cette onde de choc un jour en observant une jeune fille. Elle devait avoir le même âge que moi, le même type de parcours. Pourtant, elle adorait s'exprimer, se mettre en avant, prouver qu'elle valait la peine. Et je l’ai enviée pour ça.
Let’s take a seat on the table
Je me rends compte que le militantisme a eu un impact positif sur toutes mes frustrations. Je pense qu'inconsciemment, voir des gueulos, m'a toujours fait fantasmer.

Voilà enfin un endroit où mes prises de paroles étaient vues comme positives. J'avais l'impression d'être vue et traitée d’égal à égal dans ce milieu. Autant dans les réunions face to face que sur le web.
Je pense que ce n’est pas pour rien qu’autant de femmes noires s’expriment et créent des espaces d’expression sur Twitter via des blogs ou des podcasts… Ces espaces sont primordiales car nous sommes habituellement privées des sphères de discussions et de prises de décisions. Comme Solange nous invite à le faire dans son album ‘a seat on the table’, nous reprenons nos droits en prenant une place à table.




samedi 6 janvier 2018

Que retenir de la scène d'hypnose dans Get Out?

Attention SPOILIER 




Alors, je sais, j'arrive après la guerre !
J'ai décidé de commenter le film Get Out près d'un an après sa sortie au cinéma. Mais ça fait des semaines que ce film me travaille et j'ai eu envie de vous partager mon avis.

J'ai fait mes recherches et j'ai lu plusieurs critiques du film sans jamais trouver ma propre interprétation de la scène la plus terrifiante du film. La fameuse scène d'hypnose : quand Chris se retrouve dans le 'Sunken Place'.
Le 'Sunken Place' qui se traduit par 'le lieu émergé' en français, c'est un endroit où on est incapable de bouger, où on voit le monde à travers une fenêtre sans pouvoir agir.
C'est dans cette fameuse scène que sa belle-mère arrive à prendre contrôle de son cerveau. Cette scène est particulièrement terrifiante non pas parce qu'elle est effrayante mais parce qu'elle nous rappelle le manque 'd'agency' des afro-américains aux Etats-Unis.

Lorsque la belle-mère de Chris l'hypnotise, elle prononce la phrase :

“You can’t move. You’re paralyzed,” ... “Just like that day when you did nothing. You did nothing. Now … sink into the floor. Sink.”

Le réalisateur du film a d'ailleurs mis sur son Twitter la phrase avec un commentaire très explicite.








































Alors que représente cette fameuse 'agency' dont manque cruellement les Afro-américains ?

L'agency peut se définir comme la faculté d'action d'un être. Que ce soit sa capacité à agir sur le monde, les choses, les êtres, à les transformer ou les influencer. C'est donc une forme de pouvoir, la possibilité de prendre des décisions et de prendre son avenir ( et celui de sa communauté) en mains.
Dans le film, Chris n'arrive pas à prendre en mains sa vie et à agir lui-même. Il est bloqué dans ce système.

Dans ce tweet, le réalisateur met en avant la surreprésentation des Noirs incarcérés dans les prisons américaines. Mais on peut lier cet espace émergé avec plusieurs phénomènes : la brutalité policière, le taux de chômage élevé, la pauvreté, les maladies physique et mentales...
Tous ces problèmes sont des vestiges de l'esclavage qui sont les symboles du racisme systémique aux Etats-Unis aujourd'hui. Et il est difficile pour les Afro-Américains d'avoir un impact sur ce système.




L'aliénation après l'hypnose

Je pense qu'il y a une deuxième métaphore très importante qui n'a pas été mise en avant : celle de l'aliénation qui survient juste après hypnose.

Dans le film, on voit que tous les Noirs de cette ville adoptent un comportement ' de Blancs' très étrange et on apprendra plus tard dans le film pourquoi.

La Belle-mère de Chris, qui est thérapeute va à travers ses séances d'hypnose rendre les Noirs plus dociles, faire en sorte qu'ils adoptent une certaine attitude, une manière de penser, d'être et de s'habiller...Ça va même plus loin que l'hypnose, car les Noirs vont également être lobotomisés.
Ils subissent une lobotomie qui va leur faire perdre connaissance et altérer leur mémoire et la conscience qu'ils ont d'eux-mêmes.

Je pense qu'on peut lier ça à la perte d'identité des Afro-Américains arrivés aux USA. Une acculturation à tous les niveaux : perte de la langue que parlaient leurs ancêtres, leurs rites, leurs religions... Mais pas que...

On peut également voir cette lobotomie comme une métaphore de l'aliénation des Noirs. Car à force d'être influencés par les médias, les Noirs se voient via un filtre : le filtre de la société occidentale. Ils se voient à travers la représentation que les Blancs se font d’eux.
Cette aliénation passe évidemment par une dévalorisation de leurs propres capacités, une image déformée de soi-même passant par des tentatives permanentes d’altération physique : éclaircissement de la peau, défrisage des cheveux….
C’est une aliénation qui prend plusieurs formes : on peut essayer de se conformer/ de s’intégrer à un système qui par définition nous rejette. Ou alors, adopter des stratégies de survie, comme par exemple, en choisissant des partenaires blancs (comme l’illustre le film Get Out).

Pour conclure, ce film est un chef d’œuvre. Chaque choix artistique et chaque phrase ont une signification particulière qu’il conviendrait d’analyser.
Je pense que c'est un film qui tombe à pic, dans une période où les questions liées à la race comme construction sociale sont de plus en plus débattues.

Dans le film, le réalisateur parle de des Afro-Américains mais je pense que tous les Noirs vivant comme minorité dans un pays se sentiront touchés par ce film magnifique.