jeudi 8 mars 2018

Journée des droits des femmes et nouvelle offensive contre Damso

Hier matin, je vérifias tranquillement mes mails dans le bus, lorsque je suis tombée sur le mail d’un professeur nous invitant à signer une lettre pour empêcher Damso de créer l’hymne du prochain mondial pour l’équipe belge. Plusieurs institutions s'en prennent à lui car ses paroles de chansons seraient sexistes.
Il y a plusieurs semaines, la polémique avait déjà fait rage dans les médias belges et le Conseil national des femmes a choisi la semaine des droits des femmes pour faire pression sur la ligue et revenir de plus belle dans l’actualité.

Personnellement, je suis afroféministe et je ne signerai pas cette lettre. Voici pourquoi :
 Les codes du rap et la catharsis
Comme beaucoup d'autres musiques, le rap reflète le monde dans lequel nous vivons. Mais à la différence des autres styles de musiques, le rap est dur, cru et beaucoup plus direct.
Questionner la brutalité du rap, c’est ne pas comprendre les racines du rap. Le rap est né dans des milieux pauvres et populaires aux Etats-Unis. Là où la drogue et la violence étaient monnaie courante. Le rap est souvent agressif parce que la vie des rappeurs est difficile. En Europe aussi, le nid du rap se trouve dans les quartiers populaires.
 Certes, les textes de Damso sont sexistes, c’est vrai. Mais le sexisme dans la musique est partout. Analysez bien les textes de Gainsbourg ou même de Jacques Brel et vous y verrez des propos problématiques.
 
Les hommes racisés : la cible facile
 Alors, pourquoi cet acharnement sur les musiques populaires, urbaines et crées par des racisé.e.s? Si ce n'est pour enfoncer le clou et renforcer le racisme ambiant? J’en ai vraiment assez de ces politiques de respectabilité et je pense que le féminisme ne devrait jamais servir d’excuse au racisme.

 Le sexisme le plus douloureux
La médiatisation de cette affaire, en cette journée des droits des femmes est comparable au tapage médiatique autour du harcèlement de rue.
Ca fait des années, qu’on voit fleurir sur Internet des témoignages de femmes qui ont été agressées verbalement dans la rue. Mais quand on parle de drague de rue, on sait que ce sont les hommes racisés qui sont visés. C’est pour cette raison que les médias adorent pointer du doigt ce sexisme.
C’est seulement il y a quelques mois, avec le mouvement #metoo que les femmes ont commencé à dénoncer des agressions provenant d’un tout autre type de profil. Des hommes riches et souvent blancs, à l’instar de Weinstein. Et selon moi, c’est ce sexisme qui est le plus douloureux car en général, ce sont ces hommes-là qui ont du pouvoir sur nous.

Les hommes pauvres qui nous embêtent dans la rue n’auront jamais aucun impact sur notre condition sociale , notre évolution professionnelle et/ou notre salaire.

Et on peut faire le parallèle avec l'utilisation de ce fait divers qui permet de masquer les vrais enjeux du féminisme.
Le sexisme dans le monde du rap est un sujet qu’il faut aborder. Mais pas de cette manière. C’est aux femmes racisées et aux rappeuses de l’industrie de se faire entendre sur ces questions pour éviter que le sujet soit détourné par des agendas politiques malveillants.
 Il est essentiel, en tant que féministes, qu’on se batte contre le sexisme institutionnel incarné par les hommes de pouvoir.
 Sources :
 
Je vous invite à lire ce texte de Joao qui explique bien ce qu’est le fémonationalisme et pourquoi il faut le combattre en tant que féministes intersectionnelles 



mercredi 7 mars 2018

Petite critique du livre "Créer en postcolonie"




Ce livre est une anthologie de textes, de poèmes et d'interviews. Il donne une vue d'ensemble du secteur associatif et culturel de la diaspora congolaise en Belgique. Le livre se concentre sur l'art et l'apport des afrodescendant-e-s dans le milieu socio-culturel (surtout) à Bruxelles.


En Belgique, les populations d'Afrique subsahariennes font partie des diasporas les plus éduquées du pays mais elles cumulent en même temps, les plus hauts taux de chômage. Ce paradoxe rend les Africain-e-s de Belgique, en particulier les diasporas congolaises, très intéressantes à étudier.










Présentation des auteurs 
Sarah Demart est sociologue, chercheuse au Centre de l'ethnicité et des migrations.
Gia Abrassart est journaliste indépendante et responsable de Café Congo.








Le patrimoine colonial belge
Les premiers chapitres parlent surtout du patrimoine colonial belge et de la difficulté qu'ont les Congolais à se faire entendre sur ces questions. Par exemple, sur Zwarte Piet, Tintin au Congo et puis bien sûr sur la fameuse statut de Léopold II qui suscite toujours tumultes et révoltes.

Un grand chapitre est consacré au Musée de Tervuren qui est le dernier musée colonial du monde. Ce musée est souvent décrié par la diaspora et le monde associatif. Il est en travaux depuis 2013 et il tente de devenir un musée postcolonial.





Une dichotomie au niveau du partage du pouvoir
Ce livre ne fait pas l'unanimité. Il y a deux ans, une soirée était organisée à l'occasion de la sortie du livre. Et l'ambiance était assez surréaliste.
Ce qui dérangeait à l'époque, c'était que les organismes de subventions du livre étaient complètement blanches.
On ne peut pas dire que 'for us by us' soit la devise de 'créer en postcolonie'.


Moi, ce qui m'a vraiment dérangé, c'était le nombre très limité de penseurs, de politiques et de scientifiques dans ce livre.
Je comprends que le livre souhaitait mettre en avant les créateurs mais la création ne se limite pas à l'art. J'ai souvent eu l'impression que les personne qui pensent la soit disant 'post-colonie' étaient surtout incarnés par des Blancs Tandis que les artistes qui 'performent' cette postcolonie étaient africain-e-s.
J'ai donc trouvé, qu'on retombait par moments dans des vieux clichés, des Africain-e-s, doué-e-s en art mais qui n'avaient pas un esprit d'analyse rationnel.




Pour conclure, je pense que créer en post-colonie est un livre qu'on attendait depuis longtemps. Autant dans le milieu académique, qu'associatif et culturel. C'est un bel objet livre avec beaucoup d'illustrations, qui se lit facilement et se feuillette avec plaisir. On apprend beaucoup d'anecdotes sur la ville et sur ses habitants africains.
Ce livre conviendra aux curieux-ses qui veulent mieux comprendre les rapports délicats que la Belgique entretient avec ses anciens sujets coloniaux.
Il peut faire office de cadeau à une personne qui s'intéresse à ces sujets.






vendredi 2 mars 2018

Le militantisme en ligne comme espace de liberté dans une culture qui pousse au silence


Enfance et extraversion..
Je suis une personne de nature extravertie.
Depuis petite, j'aime être entourée de gens et mes proches me donnent toujours le sourire. Je suis née et j'ai grandi en Afrique, dans une famille où le collectif est extrêmement important. J’ai appris que dans notre culture, il n’était pas possible d'être heureux si ce bonheur n'était pas partagé.
Et pourtant, j’ai également appris à garder le silence...
Plus jeune, je me rappelle avoir souvent ressenti de la frustration lors de conversations avec des personnes adultes. C’était à peine si j'étais invitée à table et on me faisait clairement comprendre que je n'avais jamais mon mot à dire.
Petit à petit, j'ai internalisé tout ça et j’ai pris l’habitude de ne pas attirer l’attention des personnes plus âgées.
En grandissant, je me suis rendue compte que me taire a été utile dans beaucoup de situations. Par exemple, en secondaire, j’ai évité beaucoup de conflits avec des professeurs qui pouvaient avoir des propos problématiques racistes ou humiliants.


Me taire au travail..
Mais ce silence est également extrêmement difficile à vivre à l'âge adulte.
Quand je suis dans une réunion, j'ai du mal à exprimer mon opinion car je ne me sens pas légitime. Et me taire ne veut pas dire que je n'en pense rien. Peut-être que mon opinion peut être intéressante et utile. Je le sais et pourtant, c'est tellement plus facile à dire qu'à faire.
Oser parler est très dur pour moi et c'est extrêmement handicapant dans le monde du travail. Dans un monde où les 'grandes gueules' ont souvent le dernier mot, il est important de se montrer proactif, de se mettre en avant, de montrer son potentiel pour prouver qu'on est meilleur que les autres. Difficile dans ce type d'environnement, de garder le silence.
Je me rappelle avoir eu cette onde de choc un jour en observant une jeune fille. Elle devait avoir le même âge que moi, le même type de parcours. Pourtant, elle adorait s'exprimer, se mettre en avant, prouver qu'elle valait la peine. Et je l’ai enviée pour ça.
Let’s take a seat on the table
Je me rends compte que le militantisme a eu un impact positif sur toutes mes frustrations. Je pense qu'inconsciemment, voir des gueulos, m'a toujours fait fantasmer.

Voilà enfin un endroit où mes prises de paroles étaient vues comme positives. J'avais l'impression d'être vue et traitée d’égal à égal dans ce milieu. Autant dans les réunions face to face que sur le web.
Je pense que ce n’est pas pour rien qu’autant de femmes noires s’expriment et créent des espaces d’expression sur Twitter via des blogs ou des podcasts… Ces espaces sont primordiales car nous sommes habituellement privées des sphères de discussions et de prises de décisions. Comme Solange nous invite à le faire dans son album ‘a seat on the table’, nous reprenons nos droits en prenant une place à table.